Platonov

Publié le par marianne


ANNA PETROVNA, rejoignant Platonov. - Pourquoi restez-vous ici ?

PLATONOV. - On étouffe à l'intérieur, et ce ciel magnifique vaut mieux que vos plafonds chaulés par vos paysannes !

ANNA PETROVNA, s'asseyant, - Délicieux, ce temps est délicieux! L'air pur, la fraîcheur, le ciel étoilé et la lune! Dommage qu'une dame ne puisse dormir à la belle étoile. Quand j'étais petite, je passais toujours la nuit dans le jardin, l'été. (Une pause.) Vous avez une cravate neuve?

PLATONOV. - Oui.

Une pause.

ANNA PETROVNA. - Je me sens d'humeur étrange, aujourd'hui... Tout me plaît. .. Je m'amuse! Mais dites quelque chose, Platonov ! Pourquoi ce silence? Je suis venue vous voir pour que vous me parliez, .. Vous êtes impossible !

PLATONOV. - Que puis-je vous dire?

ANNA PETROVNA. - Quelque chose de neuf, de piquant, de mordant...
Vous êtes si futé, aujourd'hui, si mignon ... Vrai, j'ai l'impression, ce soir, d'être plus éprise de vous que jamais ... Vous êtes un amour, aujourd'hui! Et vous décochez si peu de ruades!

PLATONOV. - Et vous, ce soir, si belle ... Bah, vous êtes toujours belle!

ANNA PETROVNA. - Nous sommes amis, Platonov?

PLATONOV.- Manifestement. .. Il semble, en effet, que nous soyons amis ... Sinon, qu'appelle-t-on l'amitié?

ANNA PETROVNA. - Amis, quoi qu'il en soit, non?

PLATONOV. - De grands amis, j'imagine ... Je me suis habitué à vous, je me suis attaché ... Il faudrait du temps pour que je me désaccoutume

ANNA PETROVNA. - De grands amis?

PLATONOV. - Pourquoi ces questions '? Amis ... amis ... On dirait une vieille fille ...

ANNA PETROVNA. - Parfait. .. Nous sommes amis. Or, savez-vous monsieur, qu'entre un homme et une femme il n'y a qu'un pas de l'amitié à l'amour?
Elle rit.

PLATONOV. - Ah tiens! (Il rit.) Où voulez-vous en venir? Nous aurons beau, tous deux, avoir le pas large, nous n'en viendrons jamais à nous encanailler.

ANNA PETROVNA. - L'amour et les canailles ... Quelle comparaison ! Ta femme ne t'entend pas! Pardon, je vous ai tutoyé ... Sans le vouloir Michel, je vous le jure! Et pourquoi n'y viendrions-nous pas? Sommes-nous de purs esprits? L'amour est-il un mal ? ... Il n'y a pas quoi rougir!

PLATONOV, la regardant fixement. - Je vois: ou vous vous amusez gentiment, ou vous avez ... une idée derrière la tête ... Allons plutôt dan une valse!

ANNA PETROVNA. - Vous ne savez pas danser 1 (Une pause.) Nous devons avoir tous les deux une vraie conversation ... Il n'est que temps...(Elle jette un coup d'œil alentour.) Ayez l'obligeance, mon cher, de m'écouter, en vous abstenant de philosopher!

PLATONOV. - Allons danser, Anna Petrovna!

ANNA PETROVNA, - Asseyons-nous plus loin ... Venez! (Elle s'assied sur un autre banc.) Le plus dur est de savoir par où commencer ... Vous si dur à manier, si pervers ...

PLATONOV. - Et si je commençais, Anna Petrovna?

ANNA PETROVNA. - Alors, vous allez déverser un tas de sottises !Voyez-le! Il rougit! Comptez-vous me faire avaler ça? (Elle lui une bourrade.) Quel plaisantin, vous faites, Micha ! Allez-y, parlez ...Mais sans longues tirades ...

PLATONOV
Je serai bref .. Voici ce que je veux vous dire: à quoi bon?
Une pause.

ANNA PETROVNA. - Comment? À votre tour de m'écouter ... Vous ne me comprenez pas ... Si vous aviez été libre, je vous aurais épousé sans la moindre hésitation et vous aurais cédé à jamais mon titre d'Excellence. Mais à présent ... Eh bien? Qui ne dit mot consent? C'est cela? (Une pause.) Écoutez, Platonov, il est, en l'occurrence, désobligeant de rester muet!

PLATONOV, sautant sur ses pieds. - Oublions cette conversation, Anna Petrovna. Pour l'amour du Ciel, faisons comme si rien ne s'était passé! n n'y a rien eu !

ANNA PETROVNA, haussant les épaules. - Curieux homme! Et pourquoi cela?

PLATONOV- Parce que j'ai du respect pour vous! Parce que je respecte tant, en moi, ce respect à votre égard qu'il me serait plus dur de m'en séparer que de rentrer sous terre! Je suis un être libre, mon amie, je n'ai rien contre de plaisants passe-temps, je ne suis pas ennemi des liaisons féminines, ni même des nobles intrigues, mais ... nouer une intrigue minable avec vous, faire de vous, une femme intelligente, belle et libre, l'objet de pensées oiseuses?! Non! C'est au-dessus de mes forces! Chassez-moi plutôt loin de vous, envoyez-moi au diable! Tout, plutôt que de passer ainsi, stupidement, un mois ou deux, puis de nous séparer, le rouge au front !

ANNA PETROVNA. - Vous me parlez d'amour?

PLATONOV. - Est-ce que je ne vous aime pas? Je vous aime, parce que vous êtes bonne, intelligente, charitable. Je vous aime désespérément, furieusement! Je donnerais ma vie pour vous, si vous me Je demandiez. J'aime la femme et l'être humain en vous! Mais faut-il que l'amour dégénère toujours de la même façon? Celui que je vous porte m'est mille fois plus cher que cette lubie qui vous vient soudain ! ...

ANNA PETROVNA, se levant. - Ouste, mon cher, va donc faite un somme. À ton réveil, nous en reparlerons ...

PLATONOV. - Oublions cette conversation ... (Il lui baise la main.) Restons amis, mais sans frasques entre nous; nos liens méritent un meilleur sort!... En outre, je suis malgré tout... un petit peu ... marié! Laissons cette conversation ! Que tout demeure comme avant!

ANNA PETROVNA. - Ouste, mon cher, ouste! Marié ... Et cependant, tu m'aimes? Que vient faire ta femme dans l'histoire? En avant! Nous en reparlerons, dans une heure ou deux ... Tu es en pleine crise d'hypocrisie...

PLATONOV. - Je suis incapable d'hypocrisie avec vous ... (Il lui chuchote à l'oreille.) Si je pouvais être hypocrite avec toi, il y a belle lurette que je serais ton amant. ..

ANNA PETROVNA, d'un ton sec. - Fichez le camp!

PLATONOV. - Mensonges, vous n'êtes pas en colère ... vous faites semblant. ..
Il regagne la maison.

ANNA PETROVNA. - Quel phénomène! (Se rasseyant.) Il ne comprend pas ce qu'il dit ... L'amour dégénère toujours de la même façon ... tissu d'âneries! On est en plein amour écrivain-écrivaine ... (Une pause) Quel homme insupportable! À ce train-là, mon cher, nous partis pour gloser jusqu'au Jugement dernier. Mais ce que je n'ai pu prendre par la douceur, je l'aurai par la force ... Dès aujourd'hui! Il grand temps que nous sortions de cette attente ridicule ... Assez traîné..De force, je l'aurai ! .

Publié dans archives

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article